Proposition de loi relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public :
- Texte n° 505 (2022-2023) de MM. Marc-Philippe DAUBRESSE, Arnaud de BELENET et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 5 avril 2023
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Popularisées dans l’imaginaire collectif par de nombreuses fictions et par de récentes utilisations dans certains pays, les technologies de reconnaissance biométriques font l’objet d’un débat particulièrement polarisé entre les tenants d’un moratoire et ceux qui mettent en exergue leurs bénéfices opérationnels pour favoriser la sécurité ou faciliter nombre d’actes de la vie quotidienne.
Afin d’assurer un débat apaisé sur la question, la commission des lois du Sénat a créé en mars 2022 une mission d’information transpartisane. Au terme des auditions et déplacements conduits par ses rapporteurs, Marc-Philippe DAUBRESSE, Arnaud de BELENET et Jérôme DURAIN, elle a adopté à l’unanimité leur rapport le 10 mai 2022, intitulé La reconnaissance biométrique dans l’espace public : 30 propositions pour écarter le risque d’une société de surveillance.
Ce rapport a mis en lumière le fait que le déploiement des usages de la reconnaissance biométrique dans l’espace public s’effectue aujourd’hui en France sans encadrement juridique spécifique, ni réflexion éthique collective. De manière paradoxale, ces usages, pourtant marginaux, soulèvent de nombreuses oppositions tandis que la reconnaissance biométrique se banalise dans la vie de tous les jours avec une multiplication des usages individuels.
Convaincue que toute zone grise appelle une régulation pour éviter la démultiplication d’usages parfois contestables, la commission des lois estime qu’il est désormais impératif de construire une réponse collective à l’usage des technologies de reconnaissance biométrique dans l’espace public afin de ne pas être, dans les années à venir, dépassés par les développements industriels et commerciaux.
Fruit de cette réflexion, la présente proposition de loi tend à transcrire au niveau législatif les conclusions des travaux de la commission et poursuit à ce titre deux objectifs principaux : d’une part, répondre au besoin de régulation, qui s’accentue chaque jour, d’un système qui risque de nous échapper ; d’autre part, accorder aux pouvoirs publics l’autorisation exceptionnelle d’utiliser des technologies certes intrusives, mais qui ne peuvent, dans le contexte de l’organisation prochaine des jeux Olympiques et Paralympiques par notre pays, être laissées au bon vouloir des acteurs commerciaux. Cela implique, en tout état de cause, un contrôle strict, exigeant et pluridisciplinaire.
Pour ce faire, le rapport recommandait de poursuivre une méthode précise afin que le Parlement s’empare du sujet et rejette clairement le modèle d’une société de surveillance. Il considérait qu’il était en premier lieu nécessaire d’établir clairement des lignes rouges, en fixant notamment le principe d’une interdiction de l’utilisation de la reconnaissance biométrique en temps réel dans l’espace public et de toute catégorisation et notation des personnes physiques sur la base de leurs données biométriques. Une fois celles-ci posées, le Parlement était en second lieu invité à conduire une réflexion sur les cas d’usage de la reconnaissance biométrique dans l’espace public, qui sont multiples et potentiellement illimités.
Dans ce contexte, un raisonnement cas d’usage par cas d’usage s’impose, prenant en considération les finalités poursuivies par chacun d’entre eux. Plusieurs distinctions doivent être opérées, les risques pour les libertés étant dans une large mesure conditionnées par celles-ci.
Une première distinction doit ainsi être réalisée entre authentification et identification. L’authentification consiste à vérifier qu’une personne est bien celle qu’elle prétend être, le système comparant un gabarit biométrique préenregistré avec celui extrait de la personne concernée au moment du besoin d’identification, afin de vérifier que les deux gabarits correspondent. Il s’agit donc d’une comparaison « 1 contre 1 ». L’identification vise quant à elle à retrouver une donnée biométrique parmi celles extraites de plusieurs personnes au sein d’une base de données. La comparaison effectuée est une comparaison « 1 contre N », un gabarit avec une base de données de gabarits.
Au sein des techniques d’identification, deux autres distinctions doivent être réalisées. La première d’entre elles a trait à la différence entre exploitation en temps réel, c’est-à-dire dans le cadre d’un processus permettant un usage immédiat des résultats pour procéder à un contrôle de la personne concernée, et utilisation a posteriori, par exemple dans le cadre d’une enquête. Dans ce dernier cas, les recherches se font généralement sur des enregistrements. Une seconde distinction, dans l’utilisation de l’identification par les acteurs publics, concerne le cadre dans lequel cette utilisation est réalisée : police administrative ou police judiciaire.
La proposition de loi, traduisant en cela le rapport, considère qu’une fois les lignes rouges définies et garanties, certains cas d’usage peuvent légitimement être expérimentés tandis que d’autres doivent être écartés. Ces expérimentations ne pourront toutefois avoir lieu que dans le cadre d’un régime de contrôle et de redevabilité adapté et renforcé.