Séance publique du 3 juin 2021
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Débat interactif :
M. Yves Détraigne. Madame la ministre, la question de l’immigration clandestine et de la protection des groupes vulnérables est devenue un sujet de préoccupation majeur dans l’Union européenne, notamment depuis 2015 et le début de la crise migratoire. L’incendie qui a ravagé le plus grand camp de réfugiés d’Europe sur l’île de Lesbos est venu rappeler à tous la nécessité urgente de réformer le système d’asile et de migration.
Alors que le dossier était au point mort, la Commission européenne a présenté, en septembre dernier, son « Pacte sur la migration et l’asile », un premier pas pour une évolution de la politique européenne en la matière.
Comme par le passé, celle-ci se heurte à de nombreux défis. Parmi eux, on compte notamment une asymétrie marquée du nombre de demandes d’asile, sollicitant surtout les États frontaliers de l’Union européenne et certains États cibles, dont l’Allemagne. L’actuel système, fondé sur le règlement de Dublin, ne compense pas ces asymétries, à cause du manque partiel d’homogénéité entre les différents États membres dans la mise en œuvre du régime d’asile européen commun (RAEC).
Si l’Europe a toujours été une terre d’immigration en raison de sa relative prospérité économique et de sa stabilité politique, les suites de la crise sanitaire font désormais douter de sa capacité à faire face à une augmentation du nombre des demandeurs d’asile.
Au total, la réforme en profondeur de l’espace Schengen, engagée en 2015, reste un chantier inachevé. Les négociations se focalisent sur le mécanisme de répartition des demandeurs d’asile en cas de crise : doit-il être obligatoire ou non ? La solidarité peut-elle prendre d’autres formes, financières notamment, que l’accueil ? Quelle sera la position de la France dans le débat à venir sur une harmonisation des pratiques nationales en matière d’asile ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je ne reviens pas sur les orientations générales de la réforme de l’espace Schengen, précédemment évoquées.
S’agissant plus précisément de la gestion des demandeurs d’asile, la Commission européenne, en septembre 2020, a présenté son nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Beaucoup d’approximations voire de fausses informations ont circulé à ce sujet, je veux donc rappeler ici qu’il s’agit d’un ensemble de textes dont l’objet est bien de réformer en profondeur la politique migratoire européenne.
Dans ce cadre, la Commission a réalisé un exercice de simulation – il s’agit bien d’un simple exercice – sur l’un des aspects du Pacte, l’effort de solidarité, afin d’évaluer l’impact sur les États membres d’un mécanisme de répartition obligatoire visant à assurer la solidarité entre ces derniers.
À ce stade, les simulations de la Commission omettent de prendre en compte des éléments fondamentaux de la pression migratoire que nous subissons. Je pense à l’absence de considération des flux secondaires, que la France, comme d’autres pays de destination, subit particulièrement, ou encore à l’absence de prise en compte de la pression sur la demande d’asile. Nous défendons par ailleurs l’idée qu’il faudrait y ajouter la question de ceux qui auraient pu faire l’objet d’un « transfert Dublin » et qui, faute de coopération de la part d’autres États membres, ont abouti à des requalifications, concernant environ 40 000 personnes en 2019.
Sous ces hypothèses, la France et l’Allemagne totaliseraient à elles seules plus de 55 % du volume de relocalisations et des prises en charge de retour. C’est un chiffre équivalant à celui des engagements franco-allemands dans le cadre du mécanisme de La Valette : nous sommes évidemment opposés à cette solution.
Les échanges au niveau technique vont se poursuivre et la France, soutenue par plusieurs États membres d’importance, y contribuera activement, afin que soient pris en compte les nouveaux paramètres. Si nous prônons la solidarité, nous n’acceptons pas que celle-ci mette en péril nos dispositifs d’accueil et notre politique migratoire en la matière.
Enfin, en matière de compensations financières, la question reste ouverte, puisque le Pacte prévoit que les contributions de solidarité dépendront des négociations en cours sur le mécanisme de relocalisation.